Project Description

Le fruit de la connaissance

« Maître ! Maître !»

En entendant les cris accourant vers lui, Maelström sursauta. Il posa le bocal dans lequel il allait ajouter quelques gouttes d’hellébore et soupira en lissant sa longue barbe. Son apprenti allait-il un jour lui faire la surprise de quelques heures sans catastrophe annoncée ? Il se racla la gorge et prononça, non sans une certaine appréhension : « Je suis là, Gridim. »

Il étouffa sérieusement un rire en voyant la tête pleine de suie de ce dernier se glisser dans l’encadrement de la porte de son atelier. Cela n’aurait pas sied à un homme de son rang, et pourtant ! Gridim avait l’air en piteux état. Les cheveux en bataille et les habits en lambeaux, comme soufflés par une explosion, il avait l’air curieusement indemne au milieu de ce fourbi. Son état contrastait drastiquement avec la pièce étonnamment bien rangée qui accueillait ses expériences : sur de longues étagères qui semblaient soutenir plus de poids qu’elles ne l’auraient vraiment dû, des centaines de petits récipients étiquetés cohabitaient avec d’énormes grimoires poussiéreux. C’est à l’épaisseur de la couche qu’on pouvait deviner la fréquence à laquelle le maître les consultait.

« Allons bon, que t’est-il arrivé cette fois ?

– J’ai voulu mélanger du soufre et de l’aconit. Je pensais que le résultat aurait été intéressant, mais il a été plus… surprenant que prévu.

– Du soufre et de l’aconit ? Interloqué, l’homme regarda Gridim et remercia intérieurement les dieux qu’il en ait réchappé.

« Enfin, Gridim ! Depuis le temps que tu étudies ici, tu n’as donc rien appris ? C’est un miracle que tu sois encore vivant ! Si j’avais voulu une explosion, je t’aurais envoyé faire un séjour en cuisine, pas me chercher des composants dans l’ancienne carrière !

– Désolé, Maître Maelström. Avouez quand même que je suis coriace !

– Hum. Très coriace. Même un peu trop. Beaucoup auraient abandonné depuis longtemps à ta place. Je t’enseigne mon art depuis plus d’une dizaine d’années maintenant et tu fais toujours les mêmes erreurs de débutant ! »

Gridim sourit, puis fit une courbette vers son vieux maître. Au fil des années, ces joutes verbales étaient devenues un jeu entre l’ancien et son apprenti. Le vieux Maelström l’avait recueilli lorsqu’il n’était encore qu’un enfant.

Ses parents étaient morts dans une attaque de loup et le bambin allait y passer à son tour lorsqu’un vieillard était sorti des arbres. D’abord surpris devant la scène qui se présentait à ses yeux alors qu’il était gentiment sorti pour cueillir des champignons, l’homme avait réagi au quart de tour : son apparence rabougrie semblant soudain menaçante, il avait regardé le canidé d’un air mauvais. A la grande surprise du petit garçon qui lui criait de fuir, Maelström s’était contenté de prendre une poignée de poudre dans son sac, avant de la souffler au nez de l’enragé qui allait lui bondir dessus. Après quelques « kaï kaï », il avait disparu dans les fourrés.

Devant l’air ébahi et la mâchoire décrochée du marmot, le vieillard avait éclaté de rire. Un coup d’œil lui avait suffi à comprendre qu’il était trop tard pour les parents, et il avait alors fait une drôle de proposition à Gridim : « Si tu ne veux pas mourir seul dans la forêt, libre à toi de me suivre. Je ne te repousserai pas. En revanche, si tu m’accompagnes, j’attends de toi respect et travail acharné en échange du gîte et du couvert. Tu suivras mon enseignement, en échange de la dette de vie que tu viens de contracter. Sommes-nous d’accord ? »

Jamais Gridim ne l’avait déçu. Le garçon était devenu un homme accompli, porteur de valeurs dont il pouvait être fier. Néanmoins, Maelström doutait très sérieusement en son for intérieur que les talents de son apprenti lui permettent de devenir un jour un vrai Alchimiste. Trop dissipé, il avait tendance à se laisser déborder par son enthousiasme, ce qui amenait des blessures régulières, quand ce n’était pas les expériences de son vieux maître qu’il faisait tourner au vinaigre…

Se dirigeant vers la cuisine, il enjoignit à Gridim de le suivre. Tandis que celui-ci s’asseyait, il mit de l’eau dans un petit chaudron qu’il suspendit au-dessus du feu. Arrivée à la température voulue, il y ajouta quelques feuilles pour la parfumer. Enfin, il prit deux bols qu’il remplit du breuvage, avant de les poser respectivement devant son apprenti et lui-même.

Gridim, qui observait attentivement ce manège, se sentit mal à l’aise. Il attendit donc en silence avant de boire une gorgée, histoire de se donner une contenance. Se raclant la gorge, l’Alchimiste prit la parole :

« Gridim… Te voilà un homme. Tu vas atteindre ta vingtième année sous peu.

– C’est grâce à vous, Maître. Je serais mort il y a longtemps sinon.

– Ne me remercie pas. Je regrette d’être arrivé trop tard pour aider tes parents, mais j’ai pu au moins t’aider toi. Te souviens-tu de la promesse que tu avais faite ?

– Bien sûr ! J’espère avoir rempli mon contrat…

– A vrai dire, tu l’as rempli haut la main et je te considère plus comme mon fils que comme un simple apprenti. Mais il y a cependant un sujet que nous devons aborder : ton avenir. »

A la tête que fit Gridim en face lui, le vieil homme comprit de suite qu’il l’avait blessé. Mais y avait-il réellement un bon moment pour annoncer des mauvaises nouvelles ?

« Mais, Maître, j’ai toujours cru qu’il était auprès de vous mon avenir ! Qu’un jour viendrait où vous m’estimeriez prêt à reprendre votre succession ou du moins que vous me porteriez devant le conseil de la Guilde pour que j’obtienne mon titre d’Alchimiste ! Suis-je si mauvais que vous envisageriez vraiment autre chose ? »

Embarrassé, Maître Maelström porta son bol à sa bouche et but longuement. Devant le regard rempli de reproches de Gridim, il se sentit vieux pour la première fois depuis très longtemps.

« Tu n’es pas mauvais Gridim. Mais je pense que tu pourrais aussi bien t’épanouir dans un métier qui te conviendrait mieux… Tu aimes la nature, n’as-tu jamais envisagé de devenir un explorateur ? D’aller voir le vaste monde ?

– Non. J’ai tenu ma promesse. Vous aussi, vous savez, vous êtes comme un père pour moi. Vos paroles me blessent d’autant plus. Je suis navré d’avoir été un échec au point que vous refusiez de me laisser passer l’épreuve. Mais quelque part, laissez-moi vous poser une question. Comment pouvez-vous penser que j’allais réussir ma formation si vous ne croyez plus en moi depuis si longtemps que vous envisagez de me reconvertir ?

– Je… » Le rouge monta aux joues du vieil homme. « Tu as sans doute raison. Peut-être aurais-je dû t’exposer mes craintes bien avant. Peut-être aussi que mon enseignement n’est plus à la hauteur. J’aurais sûrement dû t’envoyer chez un collègue quand tu as grandi. Mais je n’avais pas envie qu’il t’arrive des bricoles. » Il osa un sourire timide. « Tu remarqueras cependant que tu es assez fort pour te sortir de toutes les situations rocambolesques que tu causes sans mon aide, ce qui est déjà un exploit. »

Gridim sentit des larmes poindre à ses yeux et couler sur ses joues. Ainsi le vieil homme avait eu tellement honte de lui avouer son échec qu’il en arrivait à remettre en question des décennies de son savoir et son expérience ? Quelle désillusion il devait être !

Ne supportant soudainement plus l’atmosphère lourde et humide de la pièce ainsi que le regard peiné de l’Alchimiste, il se leva et partit en courant, fuyant les alambics et leurs enivrantes odeurs.

Ce fut seulement lorsque son apprenti fut bien loin que des larmes coulèrent sans s’arrêter sur le visage du Maître de la Guilde.

Gridim finit par atteindre le point où les lieux qu’il traversait ne lui disaient plus rien. Comprenant qu’il commençait sérieusement à se perdre, le jeune homme finit par s’asseoir entre les racines d’un gros chêne. Il se fit un feu, qu’il alluma rapidement avec du soufre. Le sourire sur son visage s’effaça presque aussitôt en repensant aux mots de son vieux maître. Bien que prononcés avec douceur, ils l’avaient poignardé en plein cœur.

Une pomme tomba soudainement à ses pieds. Sursautant, il se remit aussi vite sur ses pieds. Par quelle miracle une pomme pouvait-elle tomber d’un chêne ? En prenant du recul, il s’aperçut que le mastodonte qu’il avait pris pour le roi de la forêt était en réalité un très vieux pommier, dont la magnifique ramure surpassait aisément toutes celles qu’il avait vu dans sa vie. Il se sentit interloqué. Comment cet arbre était-il arrivé ici ?

« Hé l’humain, tu veux que je te raconte une histoire ? Il y a bien longtemps que j’avais pas parlé à quelqu’un. »

Gridim sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque. La voix ne venait de nulle part. Il fit un tour sur lui même en tremblant : personne. Il balbutia maladroitement :

« Qui… qui est là ?

– Moi. C’est l’arbre qui te parle, jeune crétin. Et ne prend pas tes jambes à ton cou ! Tu n’as donc jamais vu un pommier ? »

Gridim reprit contenance. Certes, il avait failli prendre la fuite, mais se faire insulter par un arbre n’était décidément pas flatteur. Il allait répondre ! Au pire, avec ses racines, il n’aurait pas à courir bien loin en cas de problème.

« Que tu es naïf ! Mes racines vont loin, bien plus loin que tu ne le penses ! Elles s’enfouissent jusqu’aux tréfonds de la terre, et en connaissent tous les secrets !

– Mais vous lisez dans les pensées, en plus ?

– Je suis un arbre qui parle, ça t’étonne encore ?

– … Plus rien ne m’étonne ces derniers temps.

– Boh. Ça a pas l’air d’aller mon pote.

– Vous êtes étonnamment familier, pour un arbre. Vous avez un nom ?

– Hum pour les créatures parlantes, le Grand Vénérable. Pour les autres, je suis un pommier. Et c’est toi qui es vachement familier pour un simple humain. Quoi qu’avec ta bouille pleine de suie, tu es peut-être plutôt un très grand nain ? Je croyais qu’ils avaient disparu.

– Ils ont disparu ! Je suis apprenti Alchimi… »

Sa voix mourut dans sa gorge. Non, il n’était plus que Gridim depuis que Maître Maelström l’avait rejeté.

« Maelström ? Il est toujours en vie ? Il s’accroche bien à la vie, dis donc ! Ça lui fait quoi ? Deux, trois cents ans ? Pas mal pour un humain.

– Vous pourriez arrêter d’envahir mes pensées les plus intimes ? C’est plus que gênant, vous savez. Vous connaissez mon maître ?

– Bien sûr ! Grâce à qui crois-tu qu’il est devenu Alchimiste ? Il ne t’a jamais parlé de moi le vieux grigou ? Il est gonflé ! »

Gridim se surprit à rire. L’arbre avait l’air… courroucé.

« Ne le prenez pas mal. Je ne suis pas sûr que le Maître de la Guilde considère que ce serait très digne pour son image d’avoir un arbre, aussi Vénérable soit-il, pour formateur.

– Le Maître de la Guilde ? Voyez-vous ça, le maître de la guilde ! Bah voyons ! Il aurait au moins pu me rendre visite pour m’apprendre la nouvelle ! Je croyais qu’il était mort en passant l’épreuve ! Des siècles à culpabiliser alors que môôôôôssieur se faisait mousser sous les courbettes ! Sans moi, ce jeune effronté serait resté un imbécile bon à rien !

– Maître Maelström ? Un imbécile ?

– Oh que oui, un imbécile ! Tiens, il a jamais du te dire comment on s’est rencontré ? Il est venu par ici un jour, en croyant tout savoir. Il voulait me piquer une branche, car il avait entendu dire qu’elles ne brûlaient jamais. Normal : je les secoue avant que le feu n’ait eu le temps de se propager, mais si on les coupe, c’est du simple bois de chauffage ! Quoiqu’il en soit, il ne s’attendait pas à se prendre un retour de feuilles, si j’ose dire ! Hohohohoho ! »

Gridim fut interloqué. Le spectacle du Grand Vénérable en train de se gausser valait le détour.

« Bon. Qu’est ce qui t’amène, sinon ? Toi aussi tu veux une branche ?

– Je me suis perdu. En apprenant que j’étais un échec en tant qu’Alchimiste, j’ai fui sa maison. Il n’a pas voulu me blesser, mais mon rêve est brisé. Et il a l’impression d’avoir échoué lui aussi.

– Mais c’est qu’il devient carrément sénile ! Je sens du talent en toi, bien plus qu’en Maelström ! Cependant, vos personnalités sont tellement à l’opposé l’une de l’autre que je me demande comment tu as réussi à apprendre quelque chose de lui ! C’est en soit un gage de grand talent !

– Vous croyez ?

– Bien sûr ! Question d’affinités. Bon sinon, tu as du temps devant toi ? Genre quatre, cinq ans ?

– Bah….

-Roooooh allez, toi et moi, on lui doit bien une revanche ! Ça vaudra le coup, promis. Alors, il t’a appris quoi, le vieux barbu ? »

Assis sur un banc devant sa maison, un vieil Alchimiste se morfondait. Depuis des années, il était persuadé d’avoir envoyé le seul enfant qu’il n’avait jamais eu à la mort. Sinon, comment expliquer l’absence de nouvelles ? Gridim n’avait jamais été rancunier, et bien que ses paroles aient été dures, il ne lui aurait jamais reproché à ce point de ne pas l’expédier au suicide.

Il n’avait pas été un bon père, et était encore moins un bon Alchimiste. Il n’avait pas su transmettre son savoir, et ce dernier s’éteindrait avec lui. Lui, qui était devenu Maître de Guilde en changeant le plomb en or ! D’abord fier de son accomplissement, il avait peu à peu senti peser une solitude incompréhensible.

Jusqu’à l’arrivée de Gridim. Le garçon l’avait adouci. Après son départ, il s’était cependant retiré du monde. Aujourd’hui, il ne restait plus qu’un vieil homme fatigué attendant un miracle…

Alors qu’il se perdait dans ses pensées, il fut tiré de sa réflexion par un bruit derrière son dos. Il sursauta violemment en se retournant : son apprenti, non son fils, se dressait fièrement devant lui !

« Gridim…

– Maître…

– Tu es vivant mon garçon ! Incroyable ! Tu es vivant ! Tu vas bien ? Où étais-tu passé ! Fais-moi voir un peu comme tu as grandi ! Mais, cette tenue que tu portes… C’est… Tu as passé l’examen d’Alchimiste sans m’en informer ? Et tu as réussi en plus ?

– Surprise ! Si vous sortiez plus souvent de chez vous, vous seriez au courant des dernières nouvelles ! Pour tout vous dire, je pensais vous voir à la cérémonie mais à ce qu’il paraît depuis quelques années, vous ne sortez plus de chez vous. Et visiblement, vous ne lisez plus le courrier non plus. Alors j’ai voulu vous l’annoncer moi-même, et les autres n’y ont vu aucun inconvénient. Donc… voilà la preuve de mon accomplissement. Je voulais vous la montrer.

– Mais… Comment… ? »

En baissant le regard, il l’avait reconnue tout de suite. L’inatteignable ! De toute évidence, son ancien apprenti l’avait largement surpassé. Une Pierre Philosophale, plus belle et plus aboutie que le meilleur résultat des 300 ans de recherches de Maelström luisait doucement au poitrail de Gridim.

Soudain, le regard ému et fasciné du vieil Alchimiste fut détourné par un éclat d’une rougeur incomparable que Gridim tendait vers lui. Provenant d’une simple pomme, il éclipsait pourtant instantanément le joyau au coup de Gridim. Et Maelström fut soudain pris d’une faim irrépressible.

« Cette pomme… C’est pour moi ?

– Oui, c’est un cadeau… un peu particulier. »

Devant le hochement de tête du jeune alchimiste, il la saisit. Intrigué, ce fut seulement lorsqu’il la croqua volontiers sous le regard inquisiteur de Grimdi qu’il en reconnut le goût. Inimitable, il avait bercé ses débuts difficiles. L’ancien vacilla violemment face à la saveur retrouvée, inquiétant Gridim :

« Oulah, oulah, asseyez-vous ! Vous allez bien, Maître ?

– Maelström. Désormais pour toi et tous les autres, ce sera juste Maelström. On ne peut nommer Maître un homme que l’on a surpassé, Grand Alchimiste Gridim, et de toute évidence, il me faut tout réapprendre. Par les pouvoirs qui me sont conférés, je te proclame nouveau Maître de la Guilde des Alchimistes ! Réjouis-toi, successeur !

– Hmmm, non merci. »

Devant l’air malicieux qu’affichait le visage de Gridim, Maelström failli faire une attaque.

« Mais, enfin ? Comment ça, non merci ?! Maître de la Guilde des Alchimistes, Gridim ! Et mon successeur !

– J’avais bien entendu, maître. C’est gentil et heu, ne croyez pas, ça me touche au plus au point. Mais d’une, la guilde des Alchimistes élira démocratiquement son ou sa successeur à partir de maintenant. Et de deux, c’est tout ce que vous avez à me dire après 5 ans d’absence ? “Va-t-en au loin assumer de nouvelles responsabilités pesant, mon fils !” Ça fait plaisir !

– Que ! Quoi ?! Démocratie ? Trahison oui ! Et cette manière de parler si familière… Loin du beau langage que je t’ai enseigné… Ne me dis pas que… Ouuuuuh, je crois que ça y’est ! J’ai compris ! Où je deviens fou ou… Tu n’aurais pas rencontré un vieux tas d’écorce ridé à l’humour de mauvais goût sur ton chemin, par hasard ?

– Hahahaha ! Surprise, mon vieux ! Tu t’y attendais pas à celle-là, hein, vieille branche ! »

Maelström tomba à la renverse pour de bon cette fois. La voix qui venait de s’adresser à lui venait de… l’intérieur de sa tête ! Et Gridim semblait parfaitement au courant de la situation. Maelström reprit la parole, se raclant la gorge :

« Hum. Hrumph. Hum. Grand Vénérable ? C’est vous ? J’avais bien cru reconnaître la pomme, mais dîtes-moi, par curiosité, quel est ce miracle totalement inattendu ?

– Bah tu vois ladite pomme ? En fait, figure toi qu’en la mangeant, et grâce à un adroit petit tour performé par bibi, on peut communiquer par la pensée. J’aurai pu te le dire y’a quoi ? 250 ans ? Mais t’as préféré te barrer dans la nuit comme un voleur après son forfait plutôt que de me dire au revoir, mon p’tit pote ! Et v’la que le temps passant, un beau jour, y’a un petit jeune comme toi à l’époque mais en plus intelligent qui débarque, qui me dit que t’es pas mort et que c’est ton apprenti. Rien que ça ! Tu parles d’une vanne ! Du coup, j’ai pris sur moi de former le petit en souvenir du bon vieux temps. Mais attention, ton gamin là, c’est pas n’importe qui. Sa victoire m’aurait amplement suffit, mais il a tenu à gagner à la loyale. Des années de formation à la place de quelques mois. Il a mangé la pomme après l’examen, après, aucun raccourci. En bref, il est aussi têtu et plus intègre que toi. Enfin, ça te rajeunit pas tout ça ! T’es encore plus frippé que moi ! »

Après s’être fendu d’un grand éclat de rire, la voix du vieil arbre se fit soudain sérieuse :

« Par contre la démocratie, c’était une idée de Gridim, et ils étaient plutôt d’accord là haut. Il était même en pôle position dans la compet’. Mais le petit, il veut rien entendre. Désolé.»

Dansant d’un pied sur l’autre, Gridim qui n’attendait que la fin du discours prit la parole :

« Maître, vous aviez raison, j’ai dû trouver ma voie au travers de l’Alchimie. Et si j’admire votre prestige et la manière dont vous avez perfectionné notre art jusqu’à des sommets, je préférerai le transmettre au plus grand nombre pour que chaque personne qui le souhaite puisse améliorer sa vie et trouver de nouvelles voies. Je vais fonder une école d’Alchimie et si vous acceptez, je voudrais que ce soit chez vous, dans cet environnement de nature plein de richesses incroyables… et avec vous à mes côtés. »

Face à ses paroles, Maelström sentit les murs qui l’avaient retenus toute sa vie se briser en lui. Une vague d’émotions brutes le submergea, car il comprenait enfin Gridim. Il était tout ce qu’il n’avait pu être, et sa plus grande fierté.

« Si j’accepte, bien sûr que j’accepte ! J’accepte même que tu plantes les graines des pommes de ce renard à écorce pour qu’il vive lui aussi avec nous ! Mais si tu le veux bien, laisse moi être à tes côtés dans cette aventure non en tant que ton vieux Maître, mais en tant que ton vieux père. Je n’ai plus rien à t’apprendre, mon fils. »

Alors que les larmes montaient aux yeux de Gridim et Maelström et qu’ils se tombaient dans les bras, la voix amusé d’un vieux pommier que les humains appelait le Grand Vénérable se fit entendre dans leurs têtes :

« Hé ! C’est bien beau de vouloir planter des graines et tout ça, mais j’ai jamais dit que j’étais d’accord pour vivre avec vous deux, moi ! »